Si le mot festival est inventé en 1829 en Europe et précisément dans le nord de la France, il fait réellement son apparition en 1939 à Orange dans le sud de la France pour célébrer le théâtre et la musique. Le Festival d’Avignon, créé en 1947 et mondialement connu depuis, reste le meilleur exemple d’origine. Presque un siècle plus tard, il serait difficile de compter le nombre de festivals existant à travers le monde tellement ils ont proliféré ici et là et dans tous les domaines culturels. La France, rien qu’à elle seule, en compterait déjà plus de mille cinq cents.
Concernant l’art contemporain sur le continent africain, il n’est pas en reste, bien au contraire, car l’art et les festivals artistiques sont profondément enracinés dans la culture locale et remontent à l’Afrique ancienne, lorsque les costumes, les peintures corporelles et les spectacles de danse en étaient le point culminant. De nos jours, les festivals d’art ne sont pas uniquement des manifestations culturelles, mais sont devenus un véritable fait social. Ils servent de plate-forme aux artistes africains qui peuvent y présenter leurs créations en tous genres et y développer leur visibilité. Il ne faut pas les confondre avec les foires d’exposition et les galeries d’art qui font un travail complémentaire et ont pour vocation de développer un marché et de promouvoir commercialement les travaux d’artistes du continent dédiés aux amateurs et autres collectionneurs.
Les rendez-vous créatifs et pluridisciplinaires organisés ici et là sur le continent africain depuis plusieurs décennies connaissent donc une popularité de plus en plus croissante. En Europe, la Biennale de Venise en est la preuve concernant les arts visuels, avec une attention internationale renouvelée pour les arts africains et notamment pour ceux présentés dans les douze pavillons aux couleurs de l’Afrique, qui a démarré le 20 avril et qui fermera ses portes le 24 novembre prochain.
Cependant, nous avons choisi cette fois de vous présenter plus précisément les festivals d’art et d’expression contemporaine africaine qui mélangent les disciplines (arts visuels et arts de la scène). Ces festivals, qui sont uniquement présents sur le territoire africain, s’attachent à mettre en valeur le travail des artistes locaux ainsi que celui des artistes internationaux œuvrant sur le continent ou en collaboration avec ce dernier. Du Nord au Sud et d’Est en Ouest de l’Afrique, partons à la découverte des six festivals les plus remarquables du continent :
En Afrique du Nord / au Maghreb :
1) Dream City à Tunis (Tunisie) a fait sa 9ème édition du 22 septembre au 8 octobre 2023 derniers et reviendra du 3 au 12 octobre 2025 prochains.
Dream City est un événement culturel et artistique qui a pour objectif de transformer des espaces urbains en scènes d’art vivant afin de promouvoir la création contemporaine à travers des installations artistiques, des performances, des concerts et des expositions. Créé à Tunis en 2007, ce festival invite des artistes locaux et internationaux à intervenir dans l’espace public, favorisant l’interaction entre les œuvres et le patrimoine architectural de la ville. Il vise également à promouvoir la diversité culturelle et à engager la communauté tunisoise dans des réflexions sur les enjeux urbains et sociaux.
Tous les deux ans, Dream City s’installe dans le cœur historique de la capitale tunisienne en investissant les espaces informels de la Médina (cafés, rues, palais, places et bâtiments abandonnés). Les habitants du quartier et le public au sens large peuvent alors partir à la découverte d’univers inattendus.
La programmation du festival, construite en moyenne deux ans avant l’édition, est constituée d’œuvres issues d’un processus de fabrication artistique long (entre un et quatre ans). Ces œuvres sont créées par des artistes tunisiens et internationaux qui se nourrissent du monde actuel, de ses enjeux et de ses défis. Ils sont invités à s’exprimer contextuellement et à s’engager avec la cité de Tunis et les Tunisois pour pleinement appréhender les spécificités et les réalités sociales et politiques de la ville dans un contexte mondial fragile.
Des thématiques telles que les migrations humaines, la question de la démocratie et de la citoyenneté, le vivre-ensemble, les droits humains, mais aussi les questions relatives à la gouvernance, aux crimes environnementaux et à la mémoire sont au cœur de ce festival unique et engagé.
Tous les deux ans, Safouane et Selma Ouissi, frère et sœur, danseurs, chorégraphes, curateurs et cofondateurs de Dream City et de l’association « l’Art Rue », nous offrent un rendez-vous incontournable qui donne une énergie vibrante et inspirante à la capitale tunisienne. « Depuis le début, notre mission est de rendre l’espace public à la population, car l’État l’avait confisqué, afin de faire pression sur la société civile pour en faire un “espace-vitrine”. En réponse à la censure, nous avons donc imaginé une chorégraphie urbaine et un dispositif permettant de rendre possible une marche pour les artistes et pour les citoyens », explique Safouane Ouissi.
2) Jaou Tunis, à Tunis (Tunisie), a fait sa 7ème édition du 9 octobre au 9 novembre derniers et reviendra dans deux ans.
Il y a quelques jours encore, la capitale tunisienne vibrait au rythme de Jaou Tunis, la biennale des arts contemporains de souffle africain et à vocation universelle, organisée par la Fondation Kamel Lazaar et son quartier général artistique, le B7L9, repérable de loin dans le quartier populaire où il se situe et tapissé de rayures noires et blanches façon Daniel Buren. Depuis 2013, la Biennale Jaou Tunis s’est imposée comme un autre phare artistique du Sud global qui tisse des ponts entre créateurs contemporains locaux et internationaux. Elle offre une réflexion critique sur des enjeux universels, tout en célébrant la richesse offerte au monde par l’hybridité culturelle et en favorisant le dialogue interculturel et les discussions sur des enjeux sociaux et culturels contemporains.
Pour sa septième édition, le festival avait choisi de traiter le sujet « Arts, résistances et reconstruction des futurs » en accueillant, du 9 octobre au 9 novembre derniers, 9 expositions, 9 performances et 9 rencontres-débats, et en invitant plus de 60 artistes s’exprimant dans des domaines aussi variés que le théâtre, la danse, la poésie, les arts visuels et les performances. Si « Jaou » veut dire « la fête » en arabe tunisien, le choix du chiffre 9 est chargé de multiples symboles. Tout un programme ! Notons également que Jaou est apparu après Dream City et qu’heureusement, les deux festivals s’alternent d’une année à l’autre, sinon le public local aurait du mal à suivre.
En Afrique de l’Ouest:
3) Dak’Art 2024 à Dakar (Sénégal) vient de démarrer sa 15ème édition depuis le 7 novembre dernier au jusqu’au 7 décembre 2024, initialement prévue du 16 mai au 16 juin puis retardée en raison de la situation politique et financière du Sénégal il y a six mois.
Le festival Dak’Art, anciennement Biennale de l’art africain contemporain, est un événement majeur qui se tient à Dakar depuis 1989. Il alterne à l’origine art et littérature. Ce festival a pour objectif de promouvoir l’art contemporain africain et de créer un dialogue entre les artistes africains et ceux du reste du monde. Il présente une large gamme d’œuvres, allant de la peinture à la sculpture, de la photographie aux installations multimédias. Chaque édition offre une plateforme riche et dynamique aux artistes émergents et confirmés, comprenant des expositions, des conférences, des performances, des ateliers et des vernissages parsemés dans une multitude de lieux à travers toute la capitale sénégalaise. Elle permet non seulement de célébrer la créativité artistique des Africains, mais aussi d’attirer l’attention sur des questions sociales, politiques et culturelles à travers l’art.
Pour cette quinzième édition, le festival est placé pour la première fois sous la direction artistique d’une femme, Salimata Diop, franco-sénégalaise, qui a rassemblé 58 artistes d’Afrique et de sa diaspora autour du thème « The Wake – L’éveil, le sillage, xàll wi ». Cette édition a pour objectif de mettre en avant les défis auxquels les artistes africains sont confrontés, tels que les questions de justice sociale, d’environnement et d’identité culturelle, mais aussi d’explorer des thématiques contemporaines essentielles comme la féminité, la violence et la consommation à travers des œuvres novatrices.
Avec une affluence attendue de 400 000 visiteurs, plus de 450 expositions organisées dans le In et le Off, réparties à travers toute la ville de Dakar et un budget d’un milliard huit cents millions de francs CFA mobilisé par l’État, la Biennale de Dakar – l’un des plus grands événements du monde de l’art contemporain africain – est « une affaire de l’État du Sénégal et elle le restera, car c’est lui qui devra décider s’il faut la maintenir ou pas. Et c’est aussi lui qui a la possibilité d’en définir les modalités et le contenu », a expliqué Khady Diène Gaye, la ministre de la Culture.
Depuis plus de trente ans, Dak’Art est devenu une formidable vitrine pour les artistes du continent et un rendez-vous incontournable pour les créateurs, les amateurs d’art, les collectionneurs et les professionnels du monde entier. La Biennale joue un rôle crucial dans la promotion de la création africaine sur la scène artistique mondiale et transforme tous les deux ans la capitale sénégalaise en un bouillonnement artistique sans pareil sur le continent, dont l’intérêt ne fait que croître.
4) Les Rencontres de Bamako à Bamako (Mali) viennent de démarrer leur 14^e édition qui se tiendra du 16 novembre au 31 janvier 2025.
Créées en 1994, les Rencontres de Bamako, Biennale Africaine de la Photographie, également connue sous le nom de « Rencontres Africaines de la Photographie », première et principale manifestation internationale dédiée à la photographie et à la vidéo africaines sur le continent, est devenue au fil de ses 30 ans d’existence et 14 éditions un événement incontournable dans le circuit global de l’art contemporain. Elle s’intitule cette année « Kuma, la parole, the word ».
Plateforme de découvertes, d’échanges et de visibilité sur la diversité des pratiques photographiques, la Biennale propose des projections, des conférences et des ateliers. Elle révèle les photographes africains, ceux de la diaspora et les photographes internationaux et offre, tous les deux ans, un temps d’échange et de partage avec le public malien et les professionnels du monde entier, ainsi qu’un espace de réflexion sur les enjeux sociaux, politiques et culturels à travers l’image.
De Malick Sidibé à Seydou Keita, de Samuel Fosso aux nouvelles générations, Bamako est la ville de tous les photographes, un lieu où leurs rêves prennent vie pour ceux qui ont eu la chance d’y venir et d’y participer. Ce festival est devenu un événement incontournable pour les passionnés de photographie. Il représente une occasion unique de découvrir les talents émergents de la scène photographique africaine tout en célébrant l’art visuel comme moyen d’expression et de dialogue.
En Afrique Centrale :
5) La Biennale de Lubumbashi à Lubumbashi (République Démocratique du Congo) fête sa 8ᵉ édition qui a lieu du 1ᵉʳ au 30 novembre.
La Biennale de Lubumbashi, qui a lieu tous les deux ans, célèbre les arts visuels, encourage les échanges culturels entre artistes et explore la création contemporaine de la scène artistique en République démocratique du Congo et dans le monde. Elle est aujourd’hui l’un des événements artistiques les plus dynamiques et expérimentaux du continent africain.
Déjà en 2022, et comme pour l’édition en cours, la biennale a pour thème la résilience perpétuelle, la créativité constante et la quête d’identité, et a invité 23 artistes à interroger la toxicité en tant que condition d’existence qui affecte inextricablement les mondes sociaux, sous le titre « ToxiCité » ou « ToxiCity ». Le thème servira de point de départ à l’élaboration collective d’un regard critique et transformateur sur l’environnement social et culturel, à Lubumbashi et dans le monde. Composée de deux concepts, celui de « toxique » et celui de « ville », la Biennale de Lubumbashi nous questionne sur le lien entre la vie contemporaine dans le cadre urbain postcolonial de Lubumbashi et, plus largement, dans le Sud global, et l’impact d’un certain nombre de processus industriels, économiques, écologiques, sociaux et culturels qui ont historiquement contribué, pour le meilleur et pour le pire, à la forme et à la dynamique de la vie urbaine dans cette région et dans d’autres parties du monde aujourd’hui.
Le thème de la toxicité offre donc un point de départ pour une élaboration critique et une prise de conscience de soi et de son environnement naturel, social et culturel, en tant que produit des processus historiques en cours, qui a déposé en vous une infinité de traces, sans laisser d’inventaire. En se concentrant sur le thème de la toxicité, le comité de commissariat de cette édition s’efforce d’ouvrir un espace critique d’engagement artistique et de réflexion pour commencer à explorer les formes possibles que pourrait prendre cet “inventaire de traces”, dans l’espoir qu’une telle compilation nous en dise également plus sur les futurs possibles à envisager à partir de maintenant.
En Afrique de l’Est :
6) Le festival Maputo Fast Forward à Maputo (Mozambique) qui a eu lieu du 18 au 26 octobre et dont la fin a dû être écourtée en raison des tensions politiques qui sévissent dans le pays suite au résultat des récentes élections présidentielles.
Le Festival Maputo Fast Forward est un événement culturel qui se déroule à Maputo, la capitale du Mozambique. Ce festival met en avant la création artistique contemporaine et sert de plateforme pour les artistes locaux et internationaux, en particulier ceux issus des domaines de la musique, du cinéma, de la danse et des arts visuels. L’objectif du festival est de promouvoir la culture mozambicaine tout en favorisant les échanges artistiques et culturels avec des intervenants venus de pays étrangers. En plus des performances et des projections, le festival propose souvent des ateliers, des discussions et des activités interactives. Ceux-ci permettent aux participants de s’engager directement avec les artistes et d’explorer divers aspects de la créativité.
Maputo Fast Forward est très apprécié pour son atmosphère dynamique et festive, attirant à la fois les habitants et les visiteurs. C’est un événement phare dans le domaine de la résilience créative, un espace où des voix plurielles se rassemblent pour imaginer l’avenir et tracer des voies vers des sociétés justes et inclusives. Il contribue à dynamiser la scène culturelle de Maputo et à mettre en lumière les talents artistiques de la région de l’Afrique de l’Est et Australe.
Cette dernière édition a accueilli plus de 50 intervenants et artistes de 20 pays, 7 expositions, une conférence internationale avec 5 panels thématiques, 2 spectacles/performances, 13 cercles de savoirs, un bazar d’initiatives innovantes. Cependant, face aux tensions politiques et sociales croissantes, le festival a été contraint cette année de clôturer précipitamment l’édition en cours, avec la conviction inébranlable que l’art, le dialogue et la culture sont des forces démocratiques fondamentales. Le Festival Maputo Fast Forward exprime sa solidarité avec tout le peuple mozambicain dans la défense du droit à la paix, à la démocratie, à la liberté d’expression et à la sécurité.
Texte de Christine Cibert.